Perdu dans les GlacesAllez mon vieux, on y est...
Combien de fois je me suis retrouvé dans ces foutus congères ? Quinze ? Vingt, trente fois ? Trop de fois, ça c'est sûr. Ces monts et vallées de glaces me filent toujours autant la nausée, et la végétation... Des arbres morts et recouverts de neiges, des broussailles viciées et mourantes, des lierres et des souches pourries... L'avenir de notre monde est radieux, définitivement radieux.
Et ce vide, ce blizzard... Bon sang et dire que les seuls à pouvoir le briser sont ces maudits glaçons sur patte... Et moi. Je ne sais pas si je préfère leur absence ou présence. Je serais fixé quand j'en croiserais, ça ne prend jamais plus d'un jour avant qu'une troupe ne se mette à me pister.
Un observateur attentif se demanderait sans doute pourquoi je m'inflige ce tortueux voyage à travers les terres gelées par l'invasion Isparin, si seulement quiconque d'autre que moi osait s'aventurer au delà de la muraille hâtivement dressée par les Opaliens pour se séparer de ce
no man's land gelé. Moi aussi je me le demande souvent, chaque fois que je passe la lourde porte de la frontière en fait, mais il faut que quelqu'un le fasse, Enkidiev n'aura aucune chance face à ces monstres si je ne parviens pas à retarder l'avancée de ces glaces, et je n'y parviendrais jamais cloîtré dans ma tour. Cette bonne vieille Tari avait beau avoir repris les rênes du continent et être sortit de son isolement érudit avec quelques nouveaux tours dans sa manche ses solutions étaient trop délétères, trop noires, parole de sorcier. Alors il ne restait que moi, moi et l'Ordre, mais ce dernier était maintenant trop affaibli pour que je puisse permettre à mes anciens élèves de me remplacer, ni même de me suivre... J'en ai déjà trop perdu à ce jeu là, Edvin, Alissa, Mathulsem... Mes pauvres enfants... Ils tombent déjà bien trop en tentant de repousser les armées des glaces, je ne peux leur demander de payer un autre tribut. Oh ça ne leur empêche pas de se présenter chacun leur tour devant ma porte avant chaque expédition, ils craignent certainement pour ma vie, après tout je suis un vieillard à leurs yeux. Je ne peux leur en vouloir, la canne, la démarche hésitante, le globe oculaire vide, les radotages sur le bon vieux temps d'avant les glaces... Un jeu bien utile ma foi, ils sont inquiets et leur inquiétude les poussent à se dépasser en prévision de ma fin qui leur parait maintenant si proche, ils ne sont pas assez aiguisé, même ma petite Loka ne parvient pas encore à démêler le vrai du faux de ma condition, tant mieux, qu'ils me pensent usé, qu'ils me croient à bout, ils n'en seront que mieux armés lorsque je ne pourrais effectivement plus tenir mon rôle. Mais la plupart d'entre eux ne le verront pas de leur vivant... 87 ans... Des broutilles, feu le Patriarche vécu 219 hivers avant de succomber aux lames perfides des glaces.
En réalité j'étais effectivement bien plus usé que je ne le devrais, mais la condition physique n'est que tertiaire pour un sorcier, mon esprit et ma magie n'ont jamais été plus aiguisés le Manuel s'en assure. Les Hommes n'ont pas encore assez conscience de sa valeur, ils me pensent irremplaçable mais c'est lui qui l'est vraiment. Il restera la plus belle découverte de Maletars, le seul à avoir pleinement usé de son potentiel d'ailleurs... Il serait encore surement parmi nous si seulement il avait accepté de le prendre avec lui ce funeste jour, mais je pense qu'il cherchait sa fin, il était usé par les ans, par les guerres et les chagrins... Pourtant... Il ne méritait pas ça...
Le Manuel est bien silencieux d'ailleurs, trop à mon goût, j'espère qu'il est toujours dans mon monde. C'est pas le moment pour lui de se réfugier dans les Arcanes, il est trop tôt, bien trop tôt.
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N'espère pas te débarrasser de moi si aisément freluquet... Je suis là toujours là. Concentre toi maintenant, la zone blanche est derrière nous, c'est maintenant que le jeu commence. Tes sortilèges tiennent le coup ? Tu incantes toujours aussi mal le Renforcement d'Yölph ta jambe ne tiendra pas 24 heures dans ces conditions. -
La ferme, il y a un temps pour les remontrances et un temps pour l'action, sonde la région plutôt que de t'intéresser à ma jambe, 24 heures sont bien assez pour que je rejoigne la grotte, tu auras tout le temps de l'incanter mieux que moi une fois arrivé. Pour l'instant la mienne fait très bien l'affaire.Et il se tût. Le Manuel avait beau être l'équivalent arcanique d'un vieil enseignant ronchon, moqueur et cynique il savait reconnaître les situations où sa verve sarcastique était déplacé. Mais il avait raison sur un point, la zone blanche à portée des quelques troupes Opaliennes encore en capacité de me porter secours rapidement en cas d'imprévu était derrière nous, maintenant il n'y avait que moi, le blizzard et les Isparins. Il me restait normalement environs 8h de marche pour atteindre la grotte gelée dans laquelle j'avais planté mes champignons magiquement modifiés pour se nourrir de cette foutue glace. Si tout se passait bien je n'aurais pas à croiser plus d'une patrouille d'ici là... En espérant que ces saletés ne soit pas tombés sur la grotte depuis les 5 mois derniers. Et si c'était le cas... Tant pis pour eux... Les runes que le manuel avait placé à l'entrée les auras pulvérisé dans une tempête de flammes, mes champignons avec malheureusement.
Je progressais ainsi péniblement au travers des couches épaisses de neiges venus recouvrir la surface gelée, le blizzard venait du Nord, il me griffais donc de pleine face et selon les observations thaumaturgiques et élémentaires du Manuel il ne changerait pas de direction avant au moins 48h, au moins il couvrait mon odeur et empêchait les foutus pégases de l'ennemi de me renifler, la portée de leur flair était encore une inconnue de taille pour mes pérégrinations et mon énergie était trop précieuse pour que j'incante des illusions olfactives si prêt de la frontière. Si rien ne venait contrarier mes plans j'en avais pour 4 à 5 jours de marche et 4 sites à rejoindre avant de rebrousser chemin, si ce rebrousse chemin se fait poursuivis par ces saletés j'aurais besoin du moindre fragment d'énergie magique et si le Manuel était une source extrêmement potente de cette dite énergie il n'était pas un réservoir inépuisable pour autant.
Il me sortit d'ailleurs de ma concentration à l'instant pile où je me faisais cette réflexion, facétie de sa part ?
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Absolument pas bon à rien. Patrouille, quatre au sol un cavalier pégase à basse altitude, 2.5 kilomètres au Nord-Est, ils viennent par ici, pas de changement de comportement immédiat, ils t'ont pas vu.
- Le blizzard est épais... Tu te sens de les perdre sous une tempête ?- Pas aussi tôt. Fraies toi un chemin par la colline Nord-Ouest, si tu la contourne par son flanc Ouest on ne perd qu'une heure sur le chemin de la grotte. Je m'y attelais de suite et cette fois je ne pouvais me passer d'une illusion olfactive, je devais sentir aussi frais que la neige du blizzard, et l'intrication était pour ma pomme, le Manuel n'avait que mépris pour l'art de l'illusion. Les habitudes de la magie noire ne se perdent pas aisément, surtout pour une entité pluri-millénaire de sa trempe.
Je pris ainsi neuf longues heures à atteindre la grotte, je la trouvais intacte, les Dieux soient loués.
Cela faisait un bien fou d'échapper au blizzard, et à mes poursuivants, le Manuel n'indiquait aucune forme de vie dans un rayon de 15 kilomètres, j'avais donc le loisir de m'installer.
La grotte en question était située au plus profond d'une dépression rocheuse protégée des chutes de neige par d'immense arcs de roche gelés. Il fallait descendre plus de 14 mètres d'une parois congelé pour l'atteindre et elle était trop étroite pour que les pégases ne viennent s'y aventurer. Cela faisait maintenant un an que je me servais de l'endroit comme premier avant poste dans les glaces et je l'avais petit à petit aménagé en y transportant magiquement divers éléments de ma tour. La magie de téléportation n'était en temps normal clairement pas à ma portée, mais la combine pour me permettre de l'utiliser était somme toute assez simple pour un sorcier de mon rang: il me suffisait de laisser le Manuel incanter une série de runes sur les objets que je souhaitais transporter, ils disparaissaient ainsi d'une l'une des strates arcaniques dans laquelle vivait la conscience éthérée du Manuel. Une fois sur place il me suffisait d'ouvrir la page correspondant à la strate utilisée et de lire les runes associés aux objets liés pour les faire apparaître à ma guise.
La grotte contenait déjà une table alchimique, une couche sommaire ensorcelée pour résister au froid, un bac dans lequel je pouvais stocker le terreau que j'apportais avec moi et une bibliothèque alchimique contenant ouvrages et ingrédients. Cette fois j'y ajoutais quelques ouvrages, une seconde table, une chaise et un thermomètre au mercure. Il m'avait pris un temps fou pour manipuler magiquement le mercure pour qu'il ne se solidifie pas au contact des températures extrêmes de l'endroit et j'eus le plaisir de le voir m'afficher la température ambiante... Enfin... Le plaisir... -37 Celsius... Pire que ce à quoi je m'attendais.
- Tu as finis ? J'ai besoin d'incanter une nouvelle rune de protection pour la prochaine fois, dépose moi à l'entrée et va t'occuper de tes foutus champignons. Je déposais le Manuel grommelant et m'activais donc. Sans surprise mes champignons n'avaient pas fait reculer le gel dans la grotte d'un iota... Mais au moins ils avaient poussé et survécut, cette simple base m'emplissait d'espoir: jusqu'ici je n'avais pas réussi à faire pousser mieux que quelques chardons rachitiques dans le sol gelé. S'ils ne parvenaient pas à absorber la glace comme je l'espérais ils arrivaient au moins à y trouver quelques nutriments, j'en décollais deux sur les cinq encore vivants pour analyse et commença immédiatement la dissection sur ma table alchimique. Dépaqueter je me sentais bien plus à l'aise, et un simple sortilège thermique suffisait à maintenir ma température corporelle autour d'un 31 Celsius acceptable.
Malheureusement je n'eus que le temps de déverser la chair sur ma table avant de sentir d'être interrompu...
-Gamin... Mauvaise nouvelle, 15 kilomètres Nord Ouest, il vient de rentrer dans mon champ de sonde...- Alors il est de sortie ?Si c'était bien lui le temps allait me manquer, merde. Une semaine allait devenir un jour... Je manque de temps...
- Ouai. Le Démon des Glaces se promène. Il est accompagné, une escouade complète, dix fantassins, trois pégases.- Au moins nous ne sommes pas loin de la frontière, s'il était apparu au abord du second site je n'aurais pas donner cher de notre peau. On plie bagage ?Je ponctuais en attrapant ma pipe et en l'allumant, si je devais fuir je n'aurais plus l'occasion de fumer avant un moment, pas question de partir sans ce pied de nez.
- Non froussard, la rune n'est pas prête. A moins que tu ne veuilles le laisser s'introduire ici ?
- Pas le moins du monde... Fais moi plaisir,laisse ta fierté de côté et intrique une illusion, le feu c'est bien beau mais j'ai bien trop avancé pour perdre la culture, ce serait un trop grand gâchis.
- MA fierté t'emmerde bon à rien. Le feu à une chance de faire disparaître cette immondice et tu veux que je me prive de l'occasion ?
- Ta connaissance des arcanes égale ta méconnaissance de la stratégie. S'il trouve la grotte il y enverra un larbin et tout sera perdu sans le moindre bénéfice, intrique une illusion où à notre retour je te laisse une semaine entière dans la chambre de l'impératrice.-
Tu n'oser... Va te faire voir sale gosse je te laisse dix minutes après on dégage.Le démon des Glaces... Le Fléau d'Enkidiev, le Général des Glaces, le Boucher d'Opale... Cela faisait bien quinze ans que je n'avais pas eu affaire à cette créature. Un colosse Isparin à la puissance et la résilience sans commune mesure... Je touchais mon globe oculaire vide avec nostalgie, et surtout avec une rage qui ne m'avait pas habité depuis longtemps. Si ce monstre s'en mêlait les chances de victoires étaient toujours proches du zéro. Le détruire magiquement me rendrait vulnérable à n'importe quelle autre attaque et même une foudre de guerre comme ma chère fille n'avait aucune chance de la vaincre en duel. Seul feu le Patriarche aurait été capable d'un tel exploit, et encore, dans la fleur de son âge uniquement... Les choses se compliquaient bien trop vite à mon goût...